Aux Etats-Unis, les caméras de surveillance sont de plus en plus largement utilisées dans les maisons de retraite (EHPAD) ce qui peut apaiser les inquiétudes des familles des résidents mais pose des questions morales et éthiques. Ainsi, 7 États, dont Washington, ont adopté des lois autorisant la mise en place de caméras de surveillance dans les chambres des résidents des maisons de retraite. Si des lois régissent actuellement l’utilisation de la vidéosurveillance, ses implications éthiques sont particulièrement aiguës dans les situations de soins. Cette analyse des données de la première enquête réalisée sur le sujet, présentée dans l’American Journal of Bioethics (AJOB) révèle 3 grandes questions éthiques : le droit au respect de la vie privée, la dignité des résidents, le risque de démotivation des soignants. Prenant en compte le vieillissement des populations, l'intensification de la pression sur le personnel soignant et l'accès élargi aux techniques de vidéosurveillance, les auteurs de l’Université de Washington appellent à mieux formaliser leur utilisation en intégrant ces dilemmes et défis éthiques.
Du point de vue des parents et proches de personnes âgées, la vidéosurveillance permet d’assurer une sécurité et une responsabilité des soins dans les EHPAD et services ou centres de long séjour. Pourtant, relèvent ici les auteurs, ces caméras de sécurité peuvent aussi causer plus de tort que de bien. Aux Etats-Unis pourtant, l'utilisation de caméras jusque dans les chambres des résidents est chose courante au point que certains États ont adopté des lois pour aider les familles et les établissements à résoudre ces questions juridiques. Mais cela ne répond pas entièrement aux nombreuses questions éthiques et en particulier à celle du droit au respect de la vie privée.
La maltraitance du patient âgé toucherait au moins 10% des résidents âgés de 60 ans et plus
De l’autre côté, il y a la maltraitance du patient âgé, sous une forme physique, sexuelle ou psychologique, voire sous la forme d'une mauvaise gestion financière ou d'une privation de ressources telles que la nourriture ou les médicaments. Si la plupart de ces abus sont commis par des proches, ceux commis par les personnels des établissements de soins infirmiers sont souvent plus médiatisés. En particulier chez personnes atteintes de démence, moins susceptibles de pouvoir signaler ces maltraitances.
Ce sondage en ligne mené dans plus de 270 établissements de 39 États portant sur l'utilisation des caméras de surveillance a entraîné un premier résultat : 11% des établissements de soins qui ont répondu ont commencé à utiliser des caméras dans leurs locaux. Cependant le sondage fait ressortir 2 points, cités par la majorité des répondants : la vie privée et la dignité des résidents. On comprend bien que les caméras de surveillance enregistrant toutes les activités se déroulant dans la chambre, y compris des moments intimes (toilette, hygiène, habillement…), l’avantage est bien que ces moments sont ceux durant lesquels le résident est le plus vulnérable, mais l’inconvénient est, du point de vue de la protection de la vie privée et de l’inimité, le patient ne souhaite pas que de telles séquences soient enregistrées, et encore moins visionnées.
- La question du consentement est donc essentiellement liée à la question de la vie privée : non seulement le résident devrait avoir la capacité de consentir à être surveillé, mais aussi en cas de chambres ou espaces communs, tous les « colocataires » devraient donner son consentement ;
- la responsabilité juridique du propriétaire de la caméra et la sécurité du flux vidéo : en installant une vidéosurveillance, la direction de l’établissement doit être en mesure de garantir la sécurité des données enregistrées et les protéger contre le piratage informatique ;
- la démotivation des personnels est peu mentionnée, la majorité des répondants soulignant plutôt les avantages potentiels des caméras, en particulier comme moyens de dissuasion contre les maltraitances mais aussi comme sources d’informations précieuses sur les besoins des résidents et même comme outil de débriefing et de formation des personnels.
Moins de surveillance et plus d’humanisation et de responsabilisation : en fin de compte, les auteurs restent très mitigés. Si les caméras peuvent offrir un certain réconfort aux familles, elles ne sont pas la solution pour prévenir les maltraitances. L’accent devrait plutôt être mis sur l’augmentation du financement et l’amélioration du système de soins de longue durée, de manière à garantir à ces établissements des personnels suffisants et mieux rémunérés. Ils appellent donc à un véritable changement de culture qui viserait à « désinstitutionnaliser » les maisons de retraite, les rendre plus humaines et plus similaires au domicile. Ce changement de paradigme implique des pratiques visant à améliorer la qualité des soins, à les centrer sur les besoins spécifiques du patient et à donner plus d’autonomie et de responsabilité aux personnels.
Avec ces conclusions, on s'éloigne de la surveillance et on privilégie l’humanisation et la responsabilisation.
Source : AJOB Empirical Bioethics 22 Feb 2019 DOI : 10.1080/23294515.2019.1568320 Cameras on beds: The ethics of surveillance in nursing home rooms (Visuel UW News)
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